Certains les trouvent sublimes, d’autres les haïssent.
Dans tous les cas, ils ont fait polémique et accumulent, encore aujourd’hui, les reproches.
Tour d’horizon de ces monuments emblématiques de la capitale qui divisent les Parisiens.
La tour Eiffel, monstre métallique
1887
Dès le lancement de sa construction en 1887, la tour Eiffel fait l’objet d’une vaste controverse. Un collectif d’artistes (parmi lesquels Guy de Maupassant, Charles Garnier ou Alexandre Dumas fils) s’indigne dans une lettre adressée à M. Alphand, Commissaire général de l’exposition universelle de 1889, dans laquelle s’inscrit la Tour : « Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel ».
Gustave Eiffel leur fera une réponse publique dans le journal Le Temps, arguant de la taille révolutionnaire de la tour (« le plus haut édifice qu’aient jamais élevé les hommes »), de son esthétique singulière et de sa solidité, preuve de l’excellence française en ingénierie. Malgré les nombreuses critiques et le procès intenté par des riverains contre Gustave Eiffel, la tour sera montrée lors de l’exposition universelle et rencontrera un immense succès populaire, devenant finalement pérenne malgré son démantèlement prévu après l’exposition.
Tour Eiffel
Avenue Gustave Eiffel 75007 Paris
Le Sacré-Coeur, symbole de répression
1923
S’il a été classé monument historique il y a quelques mois et qu’il fait partie des sites les plus visités à Paris, le Sacré-Cœur n’a pas toujours remporté tous les suffrages. Haute de 85 mètres, pensée par l’architecte Paul Abadie dans un style néo-baroque, cette basilique en pierres blanches est installée sur la butte Montmartre à la suite de la défaite de la France face à la Prusse (1870) et de la Commune de Paris (1871). S’il est reconnu d’utilité publique par l’Assemblée nationale en 1873, le Sacré-Cœur est décrié par une partie de la population (notamment certains artistes comme Emile Zola) qui y voit une stratégie d’intimidation de la part des autorités religieuses.
En effet, la Commune a commencé précisément à l’emplacement où la construction a été ordonnée, celui des premiers canons de la révolte populaire ; un lieu de répression sanglant, hautement symbolique. Le Sacré-Cœur est donc perçu comme un emblème de cette répression, un affront à la mémoire des communards. Le débat a fait rage jusqu’en 2022, lors de la décision de classer le monument.
Sacré-Coeur
35 Rue du Chevalier de la Barre 75018 Paris
La Maison de la Radio, une « poêle à frire »
1963
Inaugurée en 1963, la Maison de la Radio est conçue par l’architecte Henry Bernard pour accueillir la radio-télévision publique française. On la distingue, depuis, par sa couronne de 700 mètres et sa tour de 68 mètres. Cette forme, qui a inspiré le logotype de Radio France, lui vaut rapidement le surnom de « poêle à frire » par les parisiens.
Une partie du public semble durablement irritée par la construction de cet édifice. En 2009, le Figaro fait un sondage auprès de 15 000 votants pour savoir quels bâtiments les habitants de Paris voudraient le plus voir disparaître. Si la tour Montparnasse ne semble toujours pas digérée avec 35 % de votes, suivie par le centre Beaugrenelle atteignant les 31 %, la Maison de la Radio figure dans le top 10 en récoltant 12 % des voies. Elle a toutefois été classée aux monuments historiques en 2018.
Maison de la Radio
116 Avenue du Président Kennedy 75016 Paris
Le centre commercial Beaugrenelle, verrue de Paris
1979
Le centre Beaugrenelle, logé en bords de Seine dans le XVe arrondissement, a connu une histoire des plus tumultueuses. Le premier bâtiment, inauguré en 1979, est imaginé par les architectes M. Proux et G. Srot dans l’objectif d’attirer l’ouest parisien. Or, conçu à la hâte, il suscite de féroces critiques, à l’image de celle qu’en fait le journaliste Frédéric Edelman dans Le Monde à l’époque, qui blâme la « nullité de l’ouvrage » : « Parlera-t-on d’architecture à propos de Beaugrenelle ?
C’est en tout cas un excellent simulacre : un mastodonte protéiforme. » Malgré son ambition, le centre n’attire finalement que les habitants du quartier, qui le délaissent de plus en plus au fil des années, avant qu’il ne tombe en complète désuétude. En 2009, il est détruit et remplacé par le centre écoresponsable tel qu’on le connaît aujourd’hui ; un projet signé Valode et Pistre qui rencontre enfin le succès escompté.
Centre commercial Beaugrenelle12 Rue Linois75015 Paris
La tour Montparnasse, démesure et décadence
1973
Dans le cadre de la restructuration du quartier Montparnasse, une immense tour (la plus haute de France jusqu’en 2011, apparition de la tour First à la Défense) est commandée dans les années 1950. Si la ville de Paris y voit une modernisation majeure, elle n’est pas aussi bien accueillie par l’opinion publique. Sa taille (209 mètres) est considérée comme démesurée dans la skyline parisienne. Le projet s’allonge donc dans le temps, jusqu’à devenir réel en 1973.
La controverse est telle que deux ans plus tard, la municipalité décide d’interdire la construction d’immeubles de plus de sept étages — décision qui tombera rapidement dans l’oubli. Différentes personnalités politiques se mobilisent, à l’instar du maire Bertrand Delanoë ou de Bernard Debré, député parisien qui l’inscrit dans son programme électoral en 2007. Suite à sa réélection, le coût de sa démolition est estimé à un milliard d’euros. La tour Montparnasse ne sera finalement pas démontée et restera un symbole de la capitale.
Tour Montparnasse 33 Avenue du Maine75015 Paris
Le Centre Pompidou, révolution dérangeante
1977
En 1969, le président Pompidou décide d’édifier un centre d’art contemporain « révolutionnaire », accessible à tous les publics. Il fait donc appel à l’architecte italien Renzo Piano, auteur notamment de la Fondation Beyeler à Bâle. À l’époque, le « plateau Beaubourg » n’est qu’un parking en plein air. Renzo Piano fait le choix d’une esthétique radicale, « révolutionnaire, avec l’audace de quand on est jeune », admet-il aujourd’hui, à l’image d’une usine futuriste. « Le contraire d’un monument », le écrit-il à l’époque.
Les réactions sont à la hauteur de ce projet particulièrement clivant : « une boite », « une prison », « une erreur », s’écrie le grand public. A la mort de Georges Pompidou en 1974, le Centre est menacé de destruction. C’est Jacques Chirac, Premier ministre, qui le sauve in extremis. « Je crois que c’est un des grands gestes qui aura été réalisés dans l’histoire contemporaine », déclare-t-il l’année suivante. En effet, il accueille aujourd’hui plus de 3 millions de visiteurs par an.
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou 75004 Paris
L’opéra Bastille, mal aimé de Mitterrand
1989
« L’Opéra Bastille, je n’aime pas », déclare François Mitterrand à Marguerite Duras lors d’une série d’entretiens enregistrés entre 1985 et 1986 et plus récemment diffusés sur France Culture. Le président de l’époque est pourtant le commanditaire de ce projet qui vise à construire une salle « moderne et populaire », l’opéra Garnier étant limité en places et jugé vétuste dans sa technologie.
Un concours d’architecture est donc lancé et c’est l’uruguayo-canadien Carlos Ott qui le remporte. François Mitterrand confie alors à Marguerite Duras : « C’est un concours international, donc il y a des règles et on m’a soumis les six derniers projets. Aucun n’était bien. C’est le plus grand concours qu’il y ait eu au monde, 750 projets, et parmi les six derniers, moi j’ai choisi celui-là car il me paraissait le plus convenable… » Il s’agit donc d’un choix par défaut, une déception parmi les grandes réalisations de l’ère Mitterrand comme la Cité des Sciences et de l’Industrie, le musée d’Orsay, l’Institut du Monde Arabe, la Pyramide du Louvre ou la BNF — qui furent également au centre de polémiques, comme expliqué plus loin.
Opéra BastillePlace de la Bastille 75012 Paris
La Pyramide du Louvre, tache dans le paysage
1989
À son accession au pouvoir en 1981, François Mitterrand lance des travaux au musée du Louvre. Son ministre de la Culture, Jack Lang, fait appel à l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei, dont le président avait admiré les œuvres outre-Atlantique. Jack Lang affirme alors : « La cour Napoléon était un épouvantable parking. Le musée était handicapé par l’absence d’entrée centrale.
L’idée initiale était de faire entrer les visiteurs au milieu. » En 1984, le journal France Soir publie les maquettes, créant un tollé immédiat. Une pétition est lancée, accompagnée d’un réquisitoire de plusieurs historiens qui fustigent l’introduction d’une structure contemporaine dans un décor datant de Napoléon III. La polémique s’étend au reste du territoire et perdure encore plusieurs années. En mai 1985, les parisiens sont invités à observer le chantier. « Ils s’imaginaient qu’on allait installer la pyramide de Kéops », confie Jack Lang. Cette pyramide est aujourd’hui indissociable de l’image du musée.
Pyramide du Louvre
99 Rue de Rivoli
75004 Paris
La BNF, colosse aux pieds d’argile
1995
Parmi les grands projets mitterrandiens, la BnF de Dominique Perrault figure parmi les bâtiments les plus détestés de Paris. Si le président voulait « l’aménagement de l’une ou de la plus grande et la plus moderne bibliothèque du monde », il récolte moult quolibets, allant de son coût (1,2 milliards d’euros, soit deux fois celui de l’opéra Bastille) à son architecture. Gigantisme, inaccessibilité du jardin et détérioration des archives (une fausse rumeur court selon laquelle les livres seraient exposés à la lumière du jour dans les tours)…
La critique est sceptique. Des universitaires vont même jusqu’à publier des réquisitoires contre le projet, comme les essais L’Effondrement de la Très Grande Bibliothèque nationale de France ou Après l’effondrement rédigés par Jean-Marc Mandosio et Lucien X. Polastron. S’en suivent ensuite divers déboires comme une inondation, la découverte d’amiante, ainsi qu’un important dysfonctionnement informatique, porté jusque devant le Sénat, occasionnant une grève historique du personnel en 1998. Enfin, la BNF est un lieu privilégié pour le suicide de nombreuses personnes depuis sa construction. Ce triste constat a causé des critiques importantes sur l’architecture, au point de devoir la revoir récemment pour pallier le problème.
BNF Quai François Mauriac 75706 Paris
Les colonnes de Buren, un scandale ?
1985
Le Palais-Royal accueille les bureaux du ministère de la Culture. En 1985, le ministre Jack Lang confie à l’artiste Daniel Buren la réalisation d’une œuvre de grande échelle : Les Deux Plateaux.
Sur 3000 m2 sont disposées 260 colonnes de différente hauteur, en marbre blanc zébré de noir, faisant écho aux colonnades du Palais-Royal, mais rappelant aussi les ruines antiques. Les colonnes sont ouvertes au public qui peut librement s’y asseoir ou même les escalader. Mais introduire une œuvre contemporaine dans un site historique ne va pas de soi. Les colonnes déclenchent une violente polémique. Le chantier est interrompu, puis repris. En 2008, l’œuvre, très dégradée, est complètement restaurée.
Colonnes de Buren Galerie de la Cour d’Honneur 2 Rue de Montpensier 75001 Paris
La Canopée des Halles, soucoupe poreuse
2016
Après cinq ans de travaux, la Canopée, toiture du nouveau Forum des Halles, a été inaugurée en 2016. Il n’a pas fallu plus de quelques jours pour que les réactions tombent en masse : comparée à une soucoupe volante par les riverains, critiquée pour sa couleur jaunâtre, elle est, en plus, non étanche. La municipalité, qui a déboursé 240 millions d’euros pour ce projet voulu comme futuriste (le double de la somme prévue initialement), se défend en affirmant que la structure n’était pas prévue pour être imperméable. Retour en 2003 : Bertrand Delanoë sollicite les parisiens pour repenser le Forum des Halles. L’avis général est à la simplicité et aux couleurs discrètes.
Le maire sollicite alors l’architecte David Mangin, auquel il refuse une partie du projet, la toiture, qu’il juge pas assez audacieuse. Ce sont donc Patrick Berger et Jacques Anziutti qui construiront la Canopée. Avant même d’être achevée, elle fait polémique, pour son coût très élevé et pour les dommages collatéraux des travaux : blocs de béton traversant des boutiques, parpaings tombant devant le cinéma… Ce projet aura donc divisé, du début jusqu’à la fin.
Canopée des Halles101 Rue Berger75002 Paris
La Tour Triangle, ombre du passé
2025
Cette imposante tour n’avait pas encore commencé à être bâtie, qu’elle suscitait déjà l’émoi du public parisien. De forme pyramidale, située près de la Porte Versailles, la Tour Triangle devrait culminer à 180 mètres pour 44 étages. Le duo d’architectes Herzog & de Meuron a été invité à dessiner cet immeuble innovant qui verra le jour en 2025.
Prévu pour accueillir des bureaux, hôtels et commerces, la Tour Triangle divise profondément depuis 2008. Différentes associations et groupes politiques s’opposent à sa construction, déposant différents recours en justice. Les raisons sont diverses. Environnementales, déjà, pour la consommation énergétique que ces 80 000 mètres carrés de bureaux représentent. Esthétiques, ensuite, Nathalie Kosciusko-Morizet y voyant un bâtiment « passéiste » et isolé des autres tours contemporaines, regroupées dans le quartier de La Défense. Enfin, les riverains craignent l’ombre que pourrait générer la construction, une fois terminée. Á suivre.
Tour TrianglePorte de Versailles 75015 Paris
Partager la publication "Les bâtiments les plus détestés dans l’histoire de Paris"